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Refusons le chantage à la précarité : les entreprises non-vitales doivent fermer !

Temoignage apprenti
Nous publions ici le témoignage de Serge*, apprenti et ouvrier, dont l'entreprise continue à produire, au mépris des règles sanitaires et des vies qu'elle met en danger. En temps normal, être apprenti c'est déjà être un travailleur forcé de se taire sous la pression du diplôme. Avec la question du virus, non seulement rien ne change, mais tout est pire.

Je suis ouvrier dans un atelier d'usinage et comme beaucoup de gens à travers le pays je continue de me rendre quotidiennement au travail. Je ne suis pas un de ces obstinés qui se donnent à corps perdus dans leur travail, ni quelqu'un qui se pense investi d'un devoir citoyen ou encore moins un fou qui se croirait au-dessus de la maladie, en l'occurrence du virus.

Non, je suis un apprenti en période d'essai ce qui implique tous les jours de ronger son frein en silence, d'accepter les coups de pression, d'accepter l'infantilisation permanente, de ne pas être l'égal de ses collègues. Pourquoi est-on amené à accepter cela ? Tout bonnement car on espère aller au bout de son contrat et obtenir un diplôme, une qualification. Parce qu'en cas d'échec c'est retour à la case départ, càd la précarité omniprésente. Cette même précarité que tu traines comme un boulet depuis 10 ans et qui te colle aux basques dans ton quotidien, qui génère milles galères.

En soi mon cas n'est pas hors du commun mais plutôt terriblement banal. Parce qu'aujourd'hui on ne compte plus les jeunes avec des statuts précaires ; que ce soit l'apprentissage, l'intérim, l'auto-entreprenariat, la privation d'emploi ou tout autre statut poubelle dont l'objectif est en réalité d'enfermer les travailleurs dans la misère.

Sur cette lutte constante pour ne pas sombrer, s'ajoute maintenant celle pour ne pas tomber malade et ne pas choper cette merde de Covid-19.

L'heure est à l'état d'urgence sanitaire et au confinement dans tout le pays.

Quant à moi, eh bien me voilà tous les jours à me rendre au travail comme si de rien n'était. Parce que coronavirus ou pas mon patron compte bien sur le fait que ses ouvriers viennent au boulot. Alors oui, il a bien décidé de mettre du télé-travail en place mais ça c'est bon pour les bureaux.

Par contre dans les ateliers il n'y a pas de changement.

C'est comme si on vivait dans une bulle temporelle (ou plutôt c'est l'impression que l'on veut nous laisser). Alors que la psychose s'installe dans le pays, que les hôpitaux sont sur le point d'éclater, ici on continue de produire comme si tout était normal.

La vérité c'est que le monde pourrait bien s'effondrer, cela n'empêcherait pas mon patron de nous faire travailler pour répondre aux commandes. Et pour s'assurer qu'on reste bien sagement en place, il se pointe dans l'usine, avant de retourner se confiner à l'abri chez lui, pour nous dire « n'ayez aucune crainte le coranavirus n'arrivera pas ici » ; on y croit ! Surtout qu'en ce qui concerne les mesures barrières on est loin d'être au top !

Pas de gel à disposition si ce n'est celui que les collègues se procurent par leurs propres moyens, pas de gants, pas de masques...

Quasiment aucun nettoyage des locaux n'est fait. A vrai dire le patron, comme notre gouvernement se planque derrière la responsabilité individuelle pour ne pas agir. On a l'obligation de se laver les mains régulièrement, de se tenir à 1 mètre les uns des autres quand c'est possible et on n'a plus le droit d'accès à la salle de pause pour éviter les regroupements...

A l'entendre si on suit bien ses consignes et qu'on se contente de faire le trajet maison / boulot on ne risque rien.

Au moins lui et l'Etat sont sur la même longueur d'onde... Restez chez vous ! Allez travailler !

C'en serait comique tellement c'est absurde ! Seulement ça ne l'est pas...parce que des gens meurent tous les jours et que cela va empirer.

Notre système de santé est à la ramasse et le pire qu'on puisse faire est en train d'arriver ; on laisse des gens aller bosser pour réaliser des activités non vitales. Tout ça pour que mon patron et plein d'autres puissent continuer à se remplir les poches...

Ici le droit de retrait ou la grève, personne n'en parle. Il y a de la résignation et l'attente que le gouvernement annonce la fermeture des usines. En attendant que la décision arrive de fermer, ou plus probablement n'arrive jamais, mes collègues et moi continuons de venir travailler et de fait le risque de contamination augmente chaque jour. Certains en sont conscients et se protègent comme ils peuvent à travers l'hygiène basique, d'autres se bornent à leur routine et ne montrent rien. Toutefois c'est un fait que le Covid-19 d'une manière ou d'autre rentrera dans l'entreprise.

Ce qu'il faut aujourd'hui c'est que tous ceux qui comme moi sont contraints d'aller à l'usine puissent être à l'abri chez eux pour priver l'épidémie de foyers de développement et pour notre protection collective.

Ce qu'il faut c'est que confinement veuille vraiment dire arrêt de toutes les activités collectives non vitales.

Parce qu'aujourd'hui le confinement ça veut juste dire continuer de travailler avec en plus l'épée de Damoclès du virus sur notre tête ! C'est continuer de travailler avec l'interdiction de sortir de chez soi pour autre chose ; avec l'interdiction d'être auprès de ceux qui nous sont chers. C'est continuer à aller au travail avec la crainte du policier qui te contrôle à chacun de tes faits et gestes !

Ce confinement-là est inutile, il n'a pas d'autre but que de nous faire tous courber l'échine !

Le seul confinement à même de vaincre l'épidémie c'est celui qui nous soustraira tous à l'irresponsabilité criminelle de nos patrons !

Alors que les capitalistes sont entièrement responsables de cette crise, ils essaient maintenant de nous en faire payer le prix financier, et d'en profiter pour détruire nos droits. Ne les laissons pas profiter du confinement pour nous baillonner ! Soyons nombreux à prendre la parole, pour faire entendre notre classe, continuer la lutte et préparer un retour en force !

* Prénom changé pour respecter l'anonymat.

 

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