Le role de la guerre a l epoque de l imperialisme

Théorie : le rôle de la guerre à l'époque de l'impérialisme

  • Le 01/05/2022

A l’heure de la guerre en Ukraine, pourquoi le capitalisme, triomphant depuis 30 ans en Europe, se retrouve soudainement à s’entre déchirer ? Le commerce n’est-il pas vecteur de paix ? La guerre n’est-elle pas synonyme de destruction économique ? La bourgeoisie n’aurait-elle pas intérêt à maintenir la paix pour ses profits ? Cet article cherche à présenter et résumer la théorie léniniste de l’impérialisme, dernier stade économique du capitalisme, qui génère les guerres. Cette théorie n’est qu’un outil pour comprendre le présent et analyser la société dans laquelle nous vivons.

Le stade du capitalisme libéral concurrentiel : la concentration de la production

L’instauration de la propriété privée et du libre marché, depuis la fin du XVIIIe siècle en occident, donne lieu à une libre concurrence entre capitalistes, propriétaires de leurs entreprises et de la force de travail (rapport contractuel).

Les capitalistes cherchent à augmenter leur taux de profit (%) et non pas leur profit absolu (en effectif). L’introduction d’une nouvelle machine, procédé technique ou mode d’organisation du travail plus productif permet à certains capitalistes de remporter des parts de marché en l’inondant de marchandises dont la valeur a baissée. Cette baisse de valeur s’explique par la diminution du temps de travail social moyen pour produire la marchandise à l’unité. Ces parts de marché récupérées se font au détriment d’autres capitalistes qui n’ont pas encore « modernisé » leur appareil productif ou mode d’organisation. Ces derniers finissent par se résoudre à baisser la valeur de leur propre marchandise, ce qui les oblige à moderniser leur propre système de production pour rester compétitif, c’est-à-dire investir dans ce qu’appelle Marx le « capital fixe ».

Ainsi, la concurrence oblige les capitalistes à surproduire par rapport à la demande réelle, en inondant de marchandises le marché. Or, lorsque la production de marchandise atteint de tels sommets, elle ne peut être entièrement écoulée. Cela engendre des crises, et élimine de la concurrence les petites capitalistes. Ces derniers, de part une taille moindre et donc en capacité moindre de moderniser leur production, finissent par faire faillite et se faire racheter par des capitalistes plus importants. L’on assiste alors à une concentration de la production, où émergent les monopoles, appelés aussi par Lénine un processus de « monopolisation de la production ». La majeur partie de la vie économique est désormais possédée par une poignée d’entrepreneurs organisés en groupements monopoleurs capitalistes, cartels, syndicats, trusts.

La domination progressive du capital bancaire sur le capital industriel

L’investissement croissant dans le capital fixe crée la base matérielle de la dépendance des entreprises industrielles (le capital industriel) aux banques, appelé le capital bancaire.

Durant ce stade de développement du capitalisme (XVIIIe – fin du XIXe siècles), les banques avaient pour fonction première de servir d’intermédiaire dans les paiements. Elles transforment le capital-argent inactif en capital actif, c’est-à-dire générateur de profit et les mettent à la disposition de la classe des capitalistes. Au fur et à mesure de la concentration de la production, les opérations bancaires se développent, se concentrent dans un petit nombre d’établissements. Elles se transforment, et d’intermédiaire, elles passent à de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons. Elles s’accaparent ainsi la plupart des moyens de production et des sources de matières premières d’un pays donné ou de plusieurs pays.

La course effrénée dans les dépenses associées au capital fixe pousse le capital industriel – les patrons de l’industrie – à s’endetter auprès du capital bancaire, qui finit par posséder le long du XIXe et début XXe siècles un pouvoir décisionnel de plus en plus conséquent sur la gestion industrielle.

Ce processus amène à une concentration de la production, avec comme conséquence les monopoles, une forme de domination complète du capital bancaire sur le capital industriel, de telle sorte qu’on observe la fusion ou l’interpénétration des banques et de l’industrie, formant ce que l’on nomme le « capital financier ».

Le partage du monde entre groupements capitalistes

La concurrence, pour autant, ne disparaît pas. Celle-ci place les groupements capitalistes d’un pays ou groupe de pays donné en guerre économique contre d’autres groupements capitalistes. Ces groupements garantissent aux capitalistes d’être plus solides durant les crises cycliques, et mieux s’armer face à la concurrence « lorsqu’ils accaparent dans leurs seules mains toutes les sources de matières premières. » (Lénine, p. 150) Le partage du monde entre groupements capitalistes s’effectue en fonction de la localisation géographique des matières premières, telles que les sources de minerai de fer, houille, charbon, acier, bois, énergie, gisement de pétrole etc. En parallèle du partage du monde entre grandes puissances impérialistes, à l’image de la France, de l’Angleterre, Allemagne, Etats-Unis et autres, celles-ci ont pris formes par les conquêtes coloniales dans cette visée de s’accaparer les matières premières. Ainsi, Lénine, s'appuyant sur les données économiques produites par l'intelligentsia de la bourgeoisie, pointe du doigt cette tendance :

« Plus le développement du capitalisme est élevé, plus le manque de matières premières se fait sentir, plus la concurrence est âpre, plus la chasse aux sources de matières premières dans l’univers entier est fiévreuse, et plus la lutte pour la conquête des colonies est acharnée. » (p. 151)

Le parasitisme et la putréfaction du capitalisme

De fait, le marché libre d’antan recule, car les monopoles le restreignent de jour en jour. D’où la tendance inévitable du capital financier à élargir son territoire économique, et même son territoire en général. Le conflit économique, prenant place entre capitalistes d’un même pays, prend une dimension internationale. Se forme alors le rapport entre un pôle de pays formant des Etat-rentiers, et un pôle de pays des Etat-débiteurs, soit entre des pays assumant leur domination impérialiste sur des pays sous leur domination, contrôlant et sécurisant au seul profit de ces Etat parasitaires leurs matières premières.

« L’Etat-rentier est l’Etat du capitalisme parasitaire, pourrissant ; et ce fait ne peut manquer d’influer sur les conditions sociales et politiques du pays en général, sur les deux tendances essentielles du mouvement ouvrier en particulier. » Lénine (p. 181)

La première de ces tendances, c’est le parasitisme économique, c’est-à-dire l’Etat-rentier mobilise des profits tirés de ses provinces et des surprofits tirés de ses colonies (degré d’exploitation supérieur) pour enrichir sa classe gouvernante et corrompre ses classes inférieurs, afin qu’elles se tiennent tranquilles. C’est-à-dire la corruption des organisations ouvrières, des travailleurs les mieux payés, qui crée dans le mouvement ouvrier un courant opportuniste. Ce courant est un soutien actif à son propre impérialisme : en échange du soutien à l’exploitation des peuples coloniaux, les chefs ouvriers opportunistes s’achètent la ferveur d’une frange des travailleurs organisés en échange de miettes sociales, financées par une partie du surprofit dégagé des peuples colonisés. La deuxième tendance, c’est la conquête militaire de territoire qui aboutit, sans résistance suffisante, à la conquête entière du globe. Ouvre alors la voie de la guerre entre puissances impérialistes pour le repartage du monde.

L'impérialisme, stade particulier du capitalisme

Lénine nomme cette phase « l’impérialisme », l’ultime stade du capitalisme, c’est-à-dire le capitalisme monopoliste comme développement achevé du capitalisme concurrentiel libéral. La recherche effrénée du taux de profit, par l’investissement sans fin dans le capital fixe, implique une exploitation de plus en plus intensive et vaste de matières premières qui ne deviennent plus suffisantes dans l’empire colonial des différentes puissances impérialistes.

D’autre part, l’explosion de la production de marchandise se heurte à la faiblesse de la demande. Celle-ci se réduit de jour en jour au fur et à mesure que la mécanisation permet de réduire de la masse salariale (réduction du capital variable) en jetant au chômage les travailleurs. A l’inverse, l’offre explose au fur et à mesure de la mécanisation. La surproduction d’un côté, et la mise au placard d’une masse de prolétaire dépourvu de revenu de plus en plus grande, mène à une crise cyclique de surproduction (voir schéma ci-dessous).

Schema crise de surproduction

 

A la recherche de la hausse du taux de profit, plusieurs possibilités s’offrent aux capitalistes :

 

Tableau debouches marches imperialisme

Explication du tableau - Historiquement, les capitalistes cherchent tous les débouchés possibles pour augmenter leur taux de profit. Pourtant, on observe une tendance à la guerre comme ultime et dernier levier pour leur profit. Lorsque les capitalistes ne parviennent plus à trouver de nouveaux marchés internes, ou de baisser drastiquement le coût du capital variable (résistance des organisations ouvrières…), ils cherchent des débouchés externes.

Lorsque la conquête des colonies a été effectuée, qu’il n’y a plus de terre à partager entre impérialistes, et l’exploitation de la main d’œuvre coloniale atteignant son paroxysme, il ne leur reste qu’une dernière solution : la guerre entre puissances impérialistes et de repartage du monde. La guerre impérialiste a un triple intérêt pour la bourgeoisie :

• Détruire le capital fixe (les machines, outils, locaux etc) qui, par son importance grandissante, permet d’augmenter le taux de profit. Cet aspect permet de créer de nouveaux marchés perpétrés par la destruction causée par les conflits armés, les bombardements etc.

• Détruire le capital variable (les travailleurs, les hommes) qui n’est pas assez productif pour répondre aux taux de profits fixés par les capitalistes et l’actionnariat. Cet aspect prend forme par l’envoi de travailleurs à la guerre pour se faire massacrer, diminuant le capital variable « pas assez productif » et augmentant le taux de profit.

• S’accaparer les matières premières des monopoles voisins pour asseoir sa domination, et dont le niveau de partage entre impérialistes se règle par le rapport de force militaire. Autrement dit, la guerre militaire n’est que le prolongement de la guerre économique déjà menée entre capitalistes en recherche de débouchés.

Les tâches du prolétariat à l'ère de l'impérialisme

La guerre devient une nécessité pour le capital pour maximiser ses taux de profit. La guerre est l’occasion de porter un coup contre les organisations ouvrières par la répression accentuée, la régression des droits démocratiques par l’arbitraire.

Le fascisme devient la seule alternative pour taire toute opposition au capital financier, en particulier les organisations ouvrières qui sont pour elles qu’un obstacle à la hausse de ses profits. Les institutions démocratiques bourgeoises n’arrivent plus à endiguer la crise, ce qui ouvrent la voie au fascisme. Le fascisme peut être une condition objective pour non seulement recréer des débouchés internes (répression violente de la force de travail, du « capital variable ») mais aussi des débouchés externes, par la guerre permanente. Des figures historiques du fascisme iront même jusqu'à théoriser de la nécessité de la guerre, comme Benito Mussolini qui écrivait dans La Doctrine du fascisme en 1938 :

« Avant tout, le fascisme, en ce qui concerne, d’une manière générale, l’avenir et le développement de l’humanité […] ne croit ni à la possibilité ni à l’utilité de la paix perpétuelle ».

Georgi Dimitrov, en août 1935 lors du 7ème congrès de l’Internationale Communiste, dont il était le secrétaire général de l’exécutif, analysait le fascisme comme :

« [...] l’instauration d’une dictature ouverte, terroriste, des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier. »

Dès lors, les tâches du prolétariat sont claires : aucun soutien à aucun gouvernement bourgeois, pour soutenir un État impérialiste plutôt qu’un autre. Le défaitisme révolutionnaire consiste lors d’une guerre impérialiste la défaite de son propre gouvernement, pour créer les conditions révolutionnaires de la destruction de l’État bourgeois, la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat.

L’impérialisme est la phase de transition du régime capitaliste à un ordre économique et social supérieur. Antonio Gramsci, théoricien marxiste et dirigeant communiste italien, décrit cette phase :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

Les monstres, ceux sont les forces de la réaction, cherchant à mener les travailleurs dans leurs propres guerres impérialistes, en établissant en dernier recours le fascisme, prêt à tout pour endiguer l’arrivée du nouveau monde.

Le nouvel ordre social et politique capable de dépasser les contradictions du capitalisme à son stade ultime de putréfaction – l’impérialisme – nous le nommons le socialisme-communisme.

L’ère de l’impérialisme est celle des révolutions socialistes mondiales comme unique moyen de résoudre à long terme les contradictions insurmontables du capitalisme-impérialisme.

Les exemples historiques de révolutions socialistes victorieuses sont nombreuses, et celles-ci ont lieu souvent durant ces temps de clair-obscur. Pour autant, sans parti communiste révolutionnaire, sans organe de classe suffisamment puissant, les conditions objectives du succès d’une révolution prolétarienne ne sont pas réunies.

Jeunes de France et d’ailleurs, nous vivons cette ère difficile et la tâche est énorme de reconstituer nos organisations de classe, notre parti, afin de lutter contre la guerre des impérialistes, et imposer la rupture révolutionnaire pour un monde de paix entre les peuples.

 

Pour aller plus loin :

Un ouvrage primordial pour analyser la phase économique dont laquelle nous nous trouvons, d'une actualité foudroyante : Vladimir Ilitch Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916. Citation de Lénine extraite de l'édition Le Temps des Cerises de 2001.

Lien internet - https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm

Nous éditons à prix libre des brochures de cet ouvrage, accessibles à notre permanence tous les jeudi de 17h30 à 20h.

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